Cet article a été repris dans plusieurs documents du Ministère de la Santé, en particulier le bulletin Etude et Résultats n°94 de la DRESS - décembre 2000 et dans la Proposition de loi relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie de 2003 du Sénat où les conclusions de cet article sont reprises quasiment mot pour mot, pour remettre en cause -à juste titre- la pertinence de cet outil.

Généralités

La grille AGGIR1 est devenue l'outil légal d'évaluation de la dépendance des personnes âgées dans le cadre de la loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 depuis sa désignation par le décret n° 97-427 en conseil d'état du 28 Avril 1997.

Son utilisation soulève de nombreux commentaires par les personnels qui y sont confrontés. Déjà, le CREDOC dans son analyse de "La prestation dépendance : expérimentation" relevait, page 42, la nécessité de compléter cette grille.

Nous noterons en particulier l'absence de prise en compte :

La notion ''NE FAIT PAS'' ne tient pas compte des capacités de l'individu, mais simplement de ses actes... Ainsi quelqu'un qui ne fait pas ou ne VEUT pas faire - pour bénéficier de la prestation - sera évalué ''NE FAIT PAS''.

Mais, plus grave encore, des constatations empiriques de "bizarreries", lors de l'utilisation de la "calculette AGGIR" diffusée par le Syndicat National de Gérontologie Clinique, nous ont amené à étudier de plus près cette grille, son élaboration et son algorithme.

Origine

Depuis des décennies, les gérontologues et les personnels soignants créent et utilisent des grilles d'évaluation de la personne âgée afin de mieux appréhender celle-ci dans plusieurs objectifs :

Nous citerons entre autres le Mini Mental State de FOLSTEIN pour l'aspect cognitivo-comportemental, l'ADL (Activity of Daily Living) de KATZ prenant en compte les fonctions organiques de base, l'IADL de LAWTON complément logique de la précédente pour les activités " supérieures " (I pour instrumental ), le " Géronte " dit de LEROUX2, la grille de KUNTZMANN, etc. (cf. article de ESTEPHAN & al.3)

En 1994, les docteurs Robert LEROUX, Jean-Marie VETEL4 et Monsieur Jean-Marc DUCOUDRAY de ProBTP5 ont alors élaboré un modèle voulant prendre en compte l'autonomie de la personne évaluée à partir du constat des activités effectuées ou non par celle-ci.

AGGIR comporte dix variables dites discriminantes et sept variables dites illustratives.

Seules les variables dites discriminantes réunies dans le tableau ci-dessous ont une importance en terme d'attribution de moyens ( charge de travail des services de soin, attribution de PSD au demandeur ou d'heures d'aide ménagère, etc ).

1 . COHERENCE

6 . ELIMINATION

2 . ORIENTATION

7 . TRANSFERTS

3 . TOILETTE

8 . DEPLACEMENTS A L'INTERIEUR

4 . HABILLAGE

9 . DEPLACEMENTS A L'EXTERIEUR

5 . ALIMENTATION

10 . COMMUNIQUER POUR ALERTER

 Retour Points de repères

Chacune de ces variables est cotée selon 3 stades ou modalités ''A'', ''B'' ou ''C'' selon que la personne FAIT SEULE, fait partiellement seule ou NE FAIT PAS.

Une étude sur une dizaine de sites hospitaliers cooptés (!), incluant, dit-on, environ 10.000 personnes a permis de recueillir les éléments permettant l'analyse ultérieure.

Cette analyse aurait été faite selon la méthode statistique des régressions linéaires multiples et aurait permis de définir 13 rangs. Ces rangs auraient été regroupés pour obtenir ''in fine'' 6 groupes dits " iso-ressources " - ou GIR - c'est à dire des groupes personnes comparables entre elles quand à leur perte d'autonomie, donc aux besoins - au sens Hendersonnien6 - à satisfaire.

L'étude en 1995 d'une Prestation Expérimentale Dépendance a utilisé le modèle AGGIR pour évaluer la Dépendance des personnes âgées susceptibles de bénéficier de cette prestation.

Ainsi en 5 ans, un modèle théorique, apparemment séduisant, est devenu une référence légale dans l'application de la loi " PSD " du 24 Janvier 1997 puisque nommément désignée comme " Grille Nationale AGGIR " dans le décret du 28 Mars 1997.

Observations méthodologiques

Une grille destinée aux services soignants

Cette grille a été conçue pour modéliser la charge en soins, dans des unités de soins, comme le note le CREDOC (opus cité). La première utilisation institutionnelle qui semble en avoir été faite est, au travers du logiciel GALAAD, une tentative de comparaison interservices par la CNAM-TS6.
L'on sait que la CNAM-TS cherche par cette voie une approche économique parallèle et concurrente au PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information).

Une adaptation secondaire et factice au domicile

L'aide du logiciel "Calculette AGGIR" précise en effet :

" LES GROUPES 5 ET 6 AU DOMICILE "
" En institution, l'environnement prend normalement en charge la continuité de la sécurité des personnes et fournit les denrées et autres produits nécessaires à la vie courante. "
" Au domicile, il en est tout autrement. Pour les groupes 5 et 6 il convient de prendre en compte deux nouvelles variables : "
" - le déplacement à l'extérieur, "
" - l'utilisation des moyens de communication à distance pour appel en cas de besoin. "

" Les groupes 5 et 6 se répartissent donc en trois sous groupes chacun : "
" - Sous-groupe C : la personne a besoin de tiers pour que soient apportés à son logement les produits nécessaires à la vie courante ou ne peut en cas d'urgence alerter correctement son entourage. Il s'agit d'une personne confinée. "
" - Sous-groupe B : soit de façon intermittente (dans le temps ) soit par rapport à la fiabilité de sa propre sécurité ou de son approvisionnement, la personne nécessite une surveillance et des actions ponctuelles. "
" - Sous-groupe A : la personne n'a pas de problèmes majeurs et permanents sur ces deux points. "
" La codification ''A'', ''B'', ''C'' pour ces sous-groupes reprend la logique des modalités des variables discriminantes. "


Outre l'ambiguïté de l'utilisation des trois premières lettres de l'alphabet, l'utilisation de ces deux variables discriminantes pour un simple sous codage en SOUS-GROUPES en A, B ou C sans influence apparente sur la classification en GIR est un premier indice de cet ajout circonstanciel.

La simple lecture de l'algorithme paru au Journal Officiel de la République Française (J.O.) du 28 mars 1997 en annexe du décret confirme cette impression : dans cet algorithme les différentes variables prennent des valeurs plus ou moins importantes selon que l'on FASSE (ou veuille faire) ou non. Ces valeurs - à de rares exceptions près - sont positives et croissantes de la modalité ''A'' (ou elles sont nulles) vers la modalité ''C''.


La valeur des variables " DEPLACEMENTS A L'EXTERIEUR " et " ALERTER ou utilisation des moyens de communication à distance pour appel en cas de besoin " est constamment nulle quelle que soit la modalité ''A'', ''B'' ou ''C'' !


En outre, la valeur négative de la variable " DEPLACEMENTS A L'INTERIEUR ", dans certains cas, fait s'interroger sur la raison de perdre des points lorsque l'on ne fait pas !

 

Des constatations de terrain

Les utilisateurs de la grille AGGIR ont souvent été surpris des " incongruités " dans les classements en GIR de personnes soumises à cette grille.
Par exemple une personne classé ''B'' en Orientation et ''C '' en transferts, les autres variables étant par ailleurs en ''A'' relève d'un GIR 6.

Si la variable transfert est cotée ''B'', donc une meilleure ''autonomie'', la personne ''monte'' - paradoxalement en GIR 5.

Ceci paraissait de peu d'importance car ces deux GIR n'ouvrent pas droit à PSD, et seules les prestations extra légales des Caisses (Aide Ménagère) en sont affectées. Nous verrons plus loin que cela affecte aussi des GIR à PSD.

En revenant à la situation initiale évoquée ci-dessus, si pour un ''C'' en transfert, l'orientation passe de ''B'' à ''C'', la personne passe brusquement d'un GIR 6 n'ouvrant pas droit à PSD à un GIR 2 dans le quel sa dépendance est jugée quasi maximale !

Le Docteur LEROUX questionné sur ce sujet, en Novembre 1997, répond évasivement " Oh ''B'', c'est comme ''C'' " alors que l'accent est mis dans l'introduction au "concept AGGIR " sur l'importance de la modalité ''B'' dans une classification à trois niveaux !

Ces "incongruités" relevées en pratique nous ont conduit à une étude méthodique de la grille "AGGIR" et des classements en GIR.

Retour stades

Analyse de la classification AGGIR en
Groupes Iso-Ressources
.

Généralités

10 variables discriminantes permettent par leur cotation en trois stades ''A'', ''B'' ou ''C'' de classer les personnes âgées en 6 groupes :

de GIR 6 : complètement autonome
à GIR 1 : perte d'autonomie totale.


10 variables à 3 positions : 310 combinaisons sont possibles soit 59 049 combinaisons à analyser !

Heureusement nous l'avons vu, tant le guide méthodologique, l'analyse du CREDOC que l'algorithme publié au J.O. du 28 avril 1997 nous montrent que les deux dernières variables n'ont pas d'influence sur la classification dans les 6 GIR !

Il nous reste donc 38 positions, soit ''seulement'' 6 561 combinaisons à explorer.

L'outil informatique permet seul cette analyse de façon raisonnable.

Le premier travail a consisté à écrire un programme basé sur l'algorithme publié au J.O.
Celui-ci a été validé en comparant sur plusieurs centaines de cas l'équanimité des résultats donnés par ce programme et par la "calculette AGGIR" diffusée par le Ministère des Affaires Sociales.

Premières constatations

Il a ainsi été possible d'établir une base de données des 6 561 combinaisons " classantes " en GIR avec leur correspondances en GIR résumées dans le tableau ci-dessous.

GIR

Nombre de combinaisons

1

8

2

3 208

3

2 400

4

781

5

136

6

28

5 616 d'entre elles donnent " droit " à PSD (GIR 1 à GIR 3).

Seules 945 combinaisons cotent en GIR 4 à GIR 6.

Quelques points de repères

Les huit combinaisons donnant accès au GIR 1 sont indiquées ci-dessous.

Chaîne AGGIR

CCCCCCCC--

CCACCCCC--

CCBCCCCC--

CCCACCCC--

CCCBCCCC--

CCCCACCC--

CCCCBCCC--

CCBBCCCC--

Les modalités des variables sont indiquées
dans l'ordre de la grille AGGIR (cf origine).

On voit que les modalités concernant l'une ou l'autre variable TOILETTE, HABILLEMENT ou ALIMENTATION sont indifférentes.
Ou que la modalité ''B'' simultanée de TOILETTE et HABILLEMENT permettent un maintien en GIR 1.


Toutes les autres combinaisons commençant par ''CC'' accèdent GIR 2.
C'est à dire (38/32)-8 = 36-8 = 729 -8 = 721 combinaisons y compris CCAAAAAA !
(Bien qu'improbable, cette grille a été relevée dans des établissements concernant des pathologies psychiatriques).

Stades et variables discriminantes.

Une variation d'une modalité sur une variable peut entraîner un changement de GIR, mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises !

Un pas en avant pour une frontière à franchir.

Cette variation peut-être ''cohérente'' : évolution progressive de la modalité de ''A'' vers ''C'' et variation de GIR 6 vers GIR 1.
L'étonnement est ailleurs lorsque le saut se fait brutalement du GIR 6 au GIR 2 !
Ainsi, comme nous l'avons vu, une personne présentant des périodes d'incohérence ''B'' et des transferts impossibles ''C'' appartient au GIR 6. L'incohérence devenant permanente -modalité ''C''- elle passe en GIR 2 !!!


L'analyse des différentes combinaisons permet d'établir le tableau ci-dessous.

GIR initial

GIR atteint

Saut

Nombre de cas

2

1

1 Gir

49

3

2

1 Gir

1818

4

2

2 Gir

356

5

2

3 Gir

8

6

2

4 Gir

5

4

3

1 Gir

343

5

3

2 Gir

60

6

3

3 Gir

2

5

4

1 Gir

68

6

4

2 Gir

4

6

5

1 Gir

17

2 730 combinaisons des 6 561 possibles sont affectées.


Ainsi dans 41 % des combinaisons la simple variation d'un stade de l'INTERPRETATION de l'examinateur SUR UNE MODALITE D'UNE VARIABLE peut faire varier l'appartenance au GIR, parfois dans des proportions très importantes (GIR 6 ou 5 à 2...).

Plus grave encore, dans 774 cas, ce saut fait passer d'un GIR ne donnant pas droit à PSD à un GIR PSD (en rouge dans le tableau).

Or, nous l'avons vu, seules 945 combinaisons de variables codent en GIR non PSD.

Ainsi, dans 82% des combinaisons non PSD, une simple variation d'une modalité sur une variable va provoquer soit le rejet de la demande de PSD, soit son attribution !

Ces sauts amènent sur 646 combinaisons PSD.
En effet, certaines combinaisons GIR PSD " reçoivent " jusqu'à trois combinaisons GIR non PSD.

Ainsi :
AAAAABCC-- (GIR 2) reçoit AAAABCB--, AAAAABBC-- et AAAAAACC-- (toutes trois GIR 4 !)

Un pas en avant pour un GIR en arrière ou l'effet ''Compostelle''.

Cette variation peut aussi être incohérente : évolution de la modalité de ''B'' à ''C'' et variation du GIR de 1 vers 6 (tableau ci-dessous) !

Heureusement plus rare, ce type d'incohérence se rencontre trente fois "seulement".

14 fois de GIR 2 vers 3 (sur variation de la variable TRANSFERT)

12 fois de 4 vers 5 et 4 fois de 5 vers 6 (variable DEPLACEMENTS A L'INTERIEUR dans ces deux derniers cas).

Plus curieux, le GIR est identique que la modalité soit ''A'' ou ''C'' sauf dans les deux cas signalés en vert dans le tableau.

Notons que dans le cas de variation sur les DEPLACEMENTS A L'INTERIEUR les GIR concernés sont ''PSD'' et la variation est en ''^''.

AGGIR HAUT

GIR

AGGIR MILIEU

GIR

AGGIR BAS

GIR

ACBBABCA--
2
ACBBABCB--
3
ACBBABCC--
2
ACBBBACA--
2
ACBBBACB--
3
ACBBBACC--
2
ACBBAACA--
2
ACBBAACB--
3
ACBBAACC--
2
ACACAACA--
2
ACACAACB--
3
ACACAACC--
2
ACBABACA--
2
ACBABACB--
3
ACBABACC--
2
ACBAABCA--
2
ACBAABCB--
3
ACBAABCC--
2
ACBAAACA--
2
ACBAAACB--
3
ACBAAACC--
3
ACACBACA--
2
ACACBACB--
3
ACACBACC--
2
ACCAAACA--
2
ACCAAACB--
3
ACCAAACC--
2
ACAAABCA--
2
ACAAABCB--
3
ACAAABCC--
2
ACABBACA--
2
ACABBACB--
3
ACABBACC--
2
ACABABCA--
2
ACABABCB--
3
ACABABCC--
2
ACABAACA--
2
ACABAACB--
3
ACABAACC--
3
ACCABACA--
2
ACCABACB--
3
ACCABACC--
2

Dans le cas des TRANSFERTS, les GIR sont non-PSD et la variation est en ''v''.

AGGIR HAUT

GIR

AGGIR MILIEU

GIR

AGGIR BAS

GIR

BAAABAAA--

5

BAAABABA--

4

BAAABACA--

5

BAABAAAA--

5

BAABAABA--

4

BAABAACA--

5

BABAAAAA--

5

BABAAABA--

4

BABAAACA--

5

BAAAABAA--

5

BAAAABBA--

4

BAAAABCA--

5

ABAABAAA--

5

ABAABABA--

4

ABAABACA--

5

ABBAAAAA--

5

ABBAAABA--

4

ABBAAACA--

5

AAABAAAA--

5

AAABAABA--

4

AAABAACA--

5

AABAAAAA--

5

AABAAABA--

4

AABAAACA--

5

ABAAABAA--

5

ABAAABBA--

4

ABAAABCA--

5

AAAABAAA--

5

AAAABABA--

4

AAAABACA--

5

ABABAAAA--

5

ABABAABA--

4

ABABAACA--

5

AAAAABAA--

5

AAAAABBA--

4

AAAAABCA--

5

BBAAAAAA--

6

BBAAAABA--

5

BBAAAACA--

6

BAAAAAAA--

6

BAAAAABA--

5

BAAAAACA--

6

ABAAAAAA--

6

ABAAAABA--

5

ABAAAACA--

6

AAAAAAAA--

6

AAAAAABA--

5

AAAAAACA--

6

 

Conclusion

Bien qu'égalitaire, car d'usage universel en France, la grille AGGIR génère entre les bénéficiaires des iniquités quant aux aides dont son usage ouvre l'accès.

Celles-ci sont dues à des erreurs méthodologiques conceptuelles :

Cette analyse ne prétend pas résoudre les problèmes posés par la grille AGGIR, mais simplement d'avertir sur ceux qu'elle découvre et proposer des mesures propres à revenir à une méthode d'ouverture de droit à la PSD équitable.

Pour conclure, il semble souhaitable de :

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NOTES

1 Autonomie Gérontologique - Groupes Iso-Ressources. Retour
2 En fait l'article princeps est signé de Georget ATTALLI, auteur en premier. Il voudra bien recevoir ici mes excuses pour cette imprécision. Retour.
3 ESTEPHAN, F. NOURHASHEMI, V. KOSTEK, K. SCHEIRLINCKSE, P.J. OUSSET, P. HOSTIER, G.REYES, B.VELLAS,J.L.ALBAREDE - L'évaluation gérontologique standardisée - Age et nutrition - 3/97 - vol 8 n°1 -pp36-44. Retour
4 Vetel J. M. - Le logiciel AGGIR - Revue hospitalière de France - n° 1 - janvier 1995 - p 108.Retour
5 ProBTP = Protection (des ouvriers du BTP), organisme résultant de la fusion de divers organismes de protection dont le CNRO, Caisse Nationale de Retraite des Ouvriers du bâtiment. Retour
6 Selon la théorie de soin infirmier de Virginia HENDERSON qui définit 14 besoins élémentaires de la personne allant du besoin de respirer au besoin de "se réaliser" Retour
7Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés. Retour